Mouche exacte et mouche de fantaisie

P.Carrère

Octobre 1949

On a dit que deux pêcheurs de force égale pêchant l’un avec la mouche exacte, l’autre avec la mouche fantaisie, auront fait sensiblement le même tableau à la fin de l’année. Le fait ne prouve pas grand’chose quant à la valeur de la mouche. La mouche en elle-même n’est peut-être rien, et deux pêcheurs d’égale force sont difficiles à trouver. Seul, le pêcheur pourra juger par lui-même et pour lui-même, après une longue expérience, au cours de laquelle il aura utilisé tantôt l’un, tantôt l’autre genre de mouche, en tenant compte, autant que faire se peut, des choses si variables que sont le temps, l’eau, l’activité du poisson et … du pêcheur.

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La pêche du black-bass

Delaprade,

Octobre 1952.

J’ai fait ici même, il y a deux ans, une chronique sur le black-bass. Il me semble utile de revenir sur cet intéressant vorace qui s’implante de plus en plus et est très demandé par les pêcheurs sportifs.

Il est bien entendu qu’en France il ne s’agit que du black-bass à grande bouche (Hurosalmoïdes), poisson qui, comme le brochet, est exclusivement carnassier. On ne le trouve que dans les basses rivières de plaine à eau courante lente et pourvues de lônes calmes, ou dans les lacs et les étangs à eau tiède et bien enherbée.

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Les origines de la barque.

Robert Delagneau.

Octobre 1950.

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Mes amis pêcheurs et chasseurs vous êtes-vous déjà demandé quels étaient les hommes qui avaient découvert, pour se déplacer sur les eaux, la fragile nacelle dont vous faites journellement usage ?

Un certain nombre d’entre vous s’est sûrement posé cette question.

Je vais essayer d’y répondre. Pendant mes années d’études archéologiques à l’École du Louvre, les hasards de mes recherches sur les civilisations de Sumer et d’Akkad m’ont fait pencher sur ce délicat problème qui devint par la suite le sujet de ma thèse.

À défaut d’autres documents plus anciens, nous sommes bien obligés de considérer, à l’heure présente, la civilisation mésopotamienne comme la plus ancienne connue.

Je sais très bien qu’une pareille affirmation soulèvera des protestations de quelques confrères égyptologues, mais il ne m’est pas possible, dans le cadre étroit de cet article, d’ouvrir une parenthèse de plus sur ce délicat problème qui sépare depuis un peu plus d’un siècle les assyriologues et les égyptologues.

Il n’est guère besoin de démontrer, vu sa situation géographique, l’importance prise par la navigation dans la plus haute antiquité en Mésopotamie.

À défaut de preuves directes, la composition du sous-sol mésopotamien n’ayant permis la conservation des barques en bois, l’hydrographie naturelle, les nombreux canaux creusés par la main des hommes et dont l’entretien est attesté par les tablettes les plus anciennes (quatrième millénaire avant Jésus-Christ), le rôle que la barque joue actuellement dans cette région suffisent à nous faire deviner que le problème de flotter sur les eaux fut sûrement l’un des premiers qui se soit posé aux plus anciens habitants de notre planète. Cette conception est encore rendue plus vraisemblable par le fait que le sol était aux époques préhistoriques inférieur à l’actuel et que d’immenses marécages recouvraient le pays.

Les crues actuelles du Tigre et de l’Euphrate, les deux grands fleuves qui ont donné son nom à cette région (Mésopotamie : pays entre les fleuves) se produisent à trois semaines d’intervalle. Elles prolongent et agrandissent les marais, si bien que les communications ont dû être aux époques les plus lointaines presque aussi difficiles quand les eaux étaient basses ou quand elles atteignaient leur plus grande hauteur. Pour assurer leurs communications, les premiers habitants de cette contrée n’avaient d’autres ressources qu’un flotteur, la navigation pour eux fut une nécessité avant de devenir un art.

Quelles ont été les formes de ces premiers flotteurs sur lesquels nos plus lointains ancêtres osèrent s’aventurer, pour aller d’un endroit à un autre ou pour chasser et pêcher dans les marais ?

Je vais essayer de l’expliquer d’après les plus vieux documents trouvés in situ.

À l’origine, le premier flotteur fut l’œuvre de la nature. Lorsque pour une raison quelconque, un arbre tomba dans l’eau, l’homme s’aperçut qu’il flottait, c’était le premier flotteur. À peine équarris sur une face, creusés à l’intérieur, dépourvus de tout point d’appui pour les avirons ou les rames, ces bateaux rudimentaires sont encore de nos jours en usage chez certaines tribus d’Afrique.

On ne peut affirmer cette hypothèse d’une façon certaine, les plus anciennes représentations qui sont parvenues jusqu’à nous n’ont rien de commun avec le type « auge », auquel se rattachent plus ou moins les troncs d’arbres évidés.

La similitude des embarcations égyptiennes avec celles de la Mésopotamie pourra facilement s’expliquer lorsque l’hypothèse d’un ancêtre commun aux deux races sera démontrée. Mon opinion est que le premier flotteur ne fut pas importé en Mésopotamie par des envahisseurs nomades venant de l’Est (thèse nouvelle à démontrer), car ces peuplades venant de régions de monts et de steppes furent plutôt les importateurs du cheval que de la barque.

La barque est née en Mésopotamie comme vraisemblablement elle naîtra dans d’autres régions, plus tard, chez des peuplades qui se sont trouvées devant les mêmes nécessités et les mêmes conditions d’existence. Ce qui me permet d’insister et d’appeler la civilisation sumérienne la « Civilisation de la barque », c’est que, jusqu’à ce jour, on n’a pas encore trouvé trace de civilisations antérieures. Il est bien entendu que ce terme de civilisation de la barque doit être interprété dans son sens le plus large, comme les termes déjà usagés de Civilisation du miel et de Civilisation du renne.

Le type de la barque mésopotamienne est caractérisé par une hauteur plus ou moins grande des extrémités, ce qui lui donne la forme d’un croissant de lune. Pourquoi cette forme ? Deux hypothèses se présentent : 1° il se pourrait que le marinier mésopotamien ait donné cette forme à son esquif pour s’attirer la protection du dieu « Sin », dont le symbole est le croissant de lune, et éviter ainsi les multiples dangers de la navigation sur des fleuves aussi redoutables que le Tigre et l’Euphrate. 2° À moins qu’il ne s’agisse d’une nécessité absolue de cette forme pour obtenir une navigation plus facile dans des marais encombrés de roseaux ? Je suppose que l’esquif primitif, s’il ne présentait pas cette forme exactement, s’en rapprochait du moins d’une façon suffisante pour que la transition ait pu se faire presque naturellement. Il est aussi possible que le type primitif ait subi une transformation complète. Il se pourrait qu’à des besoins nouveaux correspondent un type entièrement nouveau, lui aussi. Cette forme cintrée est attestée par les plus anciennes représentations et il semblerait que ces barques étaient construites d’un matériau souple et flexible capable de recevoir les courbes qu’on voulait lui donner, probablement des roseaux (voir figure).

Depuis la période d’Ur (troisième millénaire av. J.-C.) jusqu’à nos jours, la barque mésopotamienne n’a pas évolué. Pour les transports, les Mésopotamiens utilisaient le kuffa, sorte de panier circulaire tressé en osier et rendu étanche par du bitume ou des peaux de bêtes cousues. Cette sorte d’embarcation se conduit à la godille pour l’empêcher de tourner sur elle-même. Ils employèrent aussi le kellek, sorte de radeau de bois dont la puissance de flottaison est fortement augmentée par des peaux d’animaux gonflées d’air placées sous l’armature de bois. Mais la forme mésopotamienne typique, employée pour de multiples usages, est le bateau en bois aux extrémités fort relevées en forme de croissant de lune, le belem.

Avant la période historique, lorsque de grands échanges d’influence se sont produits entre la Mésopotamie et l’Égypte, celle-ci adopta le belem mésopotamien, qui devint par la suite le type de la barque sacrée.

Pourquoi ces types de bateaux n’ont pas évolué depuis les temps les plus anciens et se sont conservés identiques jusque dans l’Irak d’aujourd’hui, sans laisser pour ainsi dire de points de repère pour délimiter les différentes époques de son évolution ? Pourquoi ont-ils gardé leur même caractère à travers des milliers d’années ?

Pourquoi les mêmes modes de propulsions, rames, perches, halage et voile ?

Parce que les Arabes, conservateurs rigoureux, emploient les mêmes techniques de fabrication, les mêmes matériaux de construction qu’aux époques les plus lointaines. De plus, l’état des choses naturelles du pays, fleuves, canaux, crues, marais, manque de bois approprié, etc., est toujours resté immuable en Mésopotamie à travers les siècles.

Sur le pont.

Marcel Lapourré.

Délégué du Fishing-Club de France.

Octobre 1950

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Même si l’on n’est pas pêcheur, on ne peut s’empêcher de se pencher sur le parapet du pont que l’on traverse et de rester là, en contemplation, pendant de longues minutes.

Il est à remarquer que, soit aux abords immédiats des villes, soit un peu plus en aval, les poissons se rassemblent et évoluent tranquillement et sans crainte. Ils sont habitués au bruit des voitures et même aux promeneurs ; ils paraissent être en sécurité et à l’abri de toute surprise. Ce sont ordinairement des chevesnes et des truites qui se montrent en surface, les autres poissons préférant fouiller le sable doré. Et la première idée qui vient au pêcheur est la suivante : « Si je pouvais envoyer ma ligne là-bas, quelles belles prises je ferais ! »

Essayons de laisser tomber une sauterelle vivante en surface ou une grosse mouche ordinaire raflée d’un geste sec sur le parapet. La bestiole s’en va au courant, lentement ou à toute allure suivant le cours d’eau, et soudain : « Plouf ! », elle a disparu dans un remous. Dame truite ou messire chevesne a mis fin à l’existence de notre bestiole. Et à plusieurs reprises, par jeu simplement, nous renouvelons l’expérience.

Le lendemain, nous allons revenir et tâcher de capturer ces beaux poissons qui ont si bon appétit et sont si confiants, loin des bords. Nous avons apporté avec nous un dévidoir contenant 30 à 40 mètres de fine soie, ou, ce qui est mieux, un moulinet fixé sur un bambou mi-rigide de 1m,50.

Ce fil est terminé par un bas de ligne en nylon très fin (15 centièmes, par exemple) de 2 mètres de longueur. Pas de plomb si l’eau est calme, ou alors placer un n°4 à plus d’un mètre de l’hameçon n°12, ligaturé à l’anglaise. Et nous allons y fixer une sauterelle vivante, conservée telle par le procédé que j’ai indiqué maintes fois dans mes chroniques.

Faisons descendre à l’eau notre insecte en choisissant l’endroit où le courant est le plus vif ; il va être entraîné lentement (ou en vitesse) et nous conserverons le fil bien tendu.

Nous le déroulons, en coupant le dévidage par de légers arrêts aux bons endroits, guidant notre appât vers l’aval, au milieu du rassemblement des poissons.

Il sera bon de l’y laisser séjourner quelques instants, si nos futures victimes ont l’air de bouder ; mais, ordinairement, la scène est plus rapide et le dénouement plus prompt.

Pour que la fine soie ne plonge pas et reste bien en surface, il est bon parfois de la graisser ou déjà paraffiner en la passant dans un chiffon gras, comme procèdent les pêcheurs à la mouche artificielle flottante.

Il nous faut maintenant ramener notre prise sur le pont. Noyons-la d’abord par la lutte classique que doit connaître tout bon pêcheur : pas de brusquerie, mais de la souplesse et de la patience ; le scion de bambou sera préférable au seul dévidoir dans cette lutte délicate.

Si le poisson est petit, remontons-le sans heurt et sans secousses, bien que cette ascension soit fort périlleuse quant au résultat. Il vaut mieux procéder ainsi : ayez une épuisette sans manche supportée par trois cordonnets, réunis en un seul, à 40 centimètres au-dessus du cercle et prolongés par une cordelette fixée au parapet, ou à votre ceinture. Amenez le poisson dans le filet immergé et vous n’avez plus qu’à le soulever. J’ai employé souvent cet engin et m’en suis toujours très bien trouvé.

En eau trouble, insistez près des piles, avec un ver de terre comme appât ; vous pourrez, sans inconvénient, utiliser un flotteur, bien qu’avec un peu d’habitude on s’en passe aisément.

Sur la Sioule, nous avons fait de belles pêches du haut du pont d’Ébreuil, et, sur plusieurs autres ponts, il en fut de même, par grosses eaux boueuses, tout de suite après un orage.

Cette pêche à distance, d’un lieu élevé, vaut également pour la capture des poissons de fond : carpes, tanches, barbeaux, goujons ; il faut cependant que le courant soit assez vif entre les piles pour entraîner la forte plombée.

Lorsque vous supposez que l’appât est assez loin, vous l’amenez en eau plus calme, où le courant est brisé par une pile, et, donnant un coup en arrière pour faire remonter le courant à votre plomb, vous lâchez brusquement le fil, la plombée descend tout de suite au fond. Il ne vous reste plus qu’à attendre la touche, ce qui ne tarde généralement pas.

J’ai connu des rivières à fond régulier, au courant lent et assez profond, dans lesquelles je péchais avec un bouchon.

Mettant le fond convenable, plutôt moins que trop, je laissais partir mon flotteur au gré du léger mouvement de descente, rendant du fil juste ce qu’il fallait, sans influencer le mouvement du bouchon. Sous la touche, un coup de poignet ou un mouvement du morceau de bambou ferrait net le poisson.

Certains pêcheurs de grandes rivières : le Rhône, par exemple, opèrent à plus de 50 mètres du pont, le fort courant entraînant le plomb plat, qui pèse jusqu’à 200 grammes, loin en aval. Ils n’ont plus qu’à guider latéralement sa marche pour l’amener en eau profonde, où ils ont repéré des rassemblements de barbeaux et de hotus. Ils attachent leur ligne à des tiges de bambou portant un grelot, qui les prévient lorsqu’une belle pièce s’est accrochée toute seule.

Comme souvent ils sont assis et regardent le paysage, il faut voir le bond qu’ils effectuent pour courir à leur ligne, quand le joyeux tintement les tire de leur apathique distraction. Ils peuvent même lire, puisqu’ils ont, en ce grelot, un veilleur sûr et vigilant.

Quoi qu’il en soit, et pour tout genre de pêche, le haut d’un pont est toujours un poste de choix ; un seul inconvénient, si on opère en ville : ce sont les badauds qui viennent s’accouder près de vous et attendent … qu’un poisson vienne à s’accrocher ; souvent vous aurez autour de vous une telle affluence qu’un agent viendra se rendre compte de ce qui se passe. Et les commentaires vont leur train, bien sûr ; les esprits forts, sinon éclairés, donnent leur avis sur la capture ou sur les exploits d’un de leurs amis ou sur les leurs : « Moi, quand j’étais à … ». Pendant ces explications, vous aurez mis votre hôte au panier, réamorcé et redescendu votre ligne à l’eau.

Les badauds vont attendre une nouvelle touche, puis l’un après l’autre s’en iront, vous laissant seul — oh ! pas pour longtemps ! — avec vos rêves et vos espoirs.

Comme tout bon pêcheur aime la solitude, nous choisirons donc un pont bien tranquille, en pleine campagne, et, si la rivière est moins imposante qu’un grand fleuve, elle sera plus riante et plus jolie.

Le ruisseau à truite

Paul Molyneux

Octobre 1951

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M. Lapourré, délégué du Fishing-Club de France, nous exposait les charmes du ruisseau « qui bondit, froid et limpide, parmi les sapins, serpentant à travers les blocs de roches », ces ruisseaux qui descendent les pentes par de véritables marches d’escaliers, petites cascades qui tombent dans des bassins où tourne l’écume, et où l’eau fait rage avant de se décider à faire le saut suivant. Mais, sous le seuil de pierre de chacun de ces Niagaras en miniature, il y a parfois des monstres, à l’échelle locale ; j’entends ainsi que, dans un ruisseau où il faut rejeter une bonne moitié des captures parce qu’elles n’ont pas la taille légale, on y trouve des truites d’une livre, et parfois de deux.

La pêche est une pêche « de buissons » où la présence d’une canne à moulinet est une véritable plaie, mais cependant si, la plupart du temps, nous attaquons avec un mètre ou un mètre, et demi de fil seulement, pour quatre mètres de canne, il est des trous et non des moindres où nous aurons besoin de quelques mètres de fil supplémentaire. Donc, un moulinet … Mais alors, d’anneau à anneau le long de notre canne, nous allons avoir cette soie pendant en courbes éperdues, comme les fils télégraphiques le long des voies ferrées, qui montent et descendent d’un poteau à l’autre ? Ainsi, juste quand nous aurons réussi à présenter l’appât en belle place, la première ronce venue mettra un malin plaisir à agripper une boucle lâche de ce fil et à ramener l’hameçon à la tête de scion ! Ensuite, quand nous serons entrés dans le buisson pour nous décrocher, adieu les truites !

Il y a évidemment une solution, qui consiste à avoir une canne spéciale pour ce genre de pêche. En Suisse et en Savoie, on rencontre fréquemment des cannes en riz creux, avec scion en bambou, où le fil entre dans la canne à 10 centimètres en avant du moulinet, pour en ressortir à la base du scion. Un anneau à mi-longueur et un anneau de tête de scion, et 80 centimètres de soie à nu à la pointe de la canne, cela réduit à presque rien les chances d’embrouillage. Mais l’idéal, avec cette canne comme avec les modèles ordinaires, est d’avoir un fil constamment tendu, du moulinet à la pointe du scion — ne serait-ce que pour assurer la similitude constante de tous les ferrages.

Ce n’est pourtant pas bien difficile. Il suffit (fig. 1) de fixer en travers de la soie, par un nœud approprié, un bout de bois gros comme une allumette et long d’un centimètre environ, attaché en son milieu. Ensuite, mettre le frein à cliquet du moulinet et récupérer jusqu’à ce que cet arrêt vienne se coincer en travers de l’anneau de tête de scion. On a ainsi un ensemble qui se comporte, dans la broussaille, à peu près comme une canne dépourvue de moulinet (fig. 2). Plus de fil « libre » entre les anneaux, qui nous réservent toujours au bon moment quelque fâcheuse surprise. Nous pourrons ainsi faire sautiller franchement grillons et sauterelles, prêts à donner du fil si l’attaque est trop violente, prêts aussi à allonger notre bannière de la quantité voulue en espaces découverts, tout en conservant cette « butée » qui bloque fil et moulinet à notre minimum d’un mètre, par exemple, entre 1e bout du scion et ‘hameçon.

Pour ne pas quitter ces petits ruisseaux, si attrayants pour la pèche, je vais présenter ici une méthode de pêche en deux temps, si j’ose dire, que j’ai pratiquée par hasard vers 1920 dans les petits torrents d’Auvergne, et qui, depuis, m’a toujours valu des captures de taille très au-dessus de la moyenne.

I. L’exploration.

— Remonter le ruisseau, avec une sauterelle sur hameçon long plombé d’un gros plomb fendu peint en vert de taille 0 à 00, et serré sur la palette. A toutes les chutes, là où l’eau tombe en cascade blanche et où vous devinez qu’il y a, sous un seuil de pierre, en balcon, une sorte de grotte où stationne la grosse truite, laissez votre sauterelle descendre à fond au beau milieu de la cascade, posez votre canne à terre et couchez-vous à l’ombre cinq minutes. C’est long, cinq minutes, même quand on regarde les papillons et les oiseaux dans les branches ! … Au bout de ce délai, vous relevez doucement votre ligne. De deux choses l’une : ou bien la sauterelle est intacte, et le coin à grosse truite est vide — sa locataire est en balade, ou vient d’être pêchée, ou ratée, enfin ne se manifeste pas, — ou bien votre sauterelle vous revient broyée, vidée, sucée, un cadavre, un squelette de sauterelle … Alors, la grosse truite est bien là. Elle a pris l’insecte avec précaution, d’une touche prudente du bout des lèvres, l’a broyé et trituré un instant dans sa bouche, et a rejeté tranquillement le déchet, comme un amateur d’huîtres rejette les coquilles.

Alors, vous prenez bonne note de l’endroit, et je vous suppose suffisamment pêcheur pour n’avoir point besoin de planter pour cela un petit drapeau dans l’herbe, et vous continuez à remonter le ruisseau. Au bout de deux heures, vous aurez peut-être exploré ainsi un kilomètre et demi et pris en route une ou deux truitelles étourdies. Peut-être même, car tout arrive, lorsque vous aurez voulu, à la fin de l’une de vos siestes, retirer du « gouffre » de la cascade votre sauterelle témoin, aurez vous eu la bonne surprise de lever une grosse pièce qui aura tout avalé à fond, comme un brochet pendu à un vif oublié. Mais ne comptons pas sur les miracles. Vous êtes simplement parvenu au sommet du ruisseau, en repérant en route dix à douze trous où votre sauterelle a été dégustée par des clients de poids, et il faut maintenant réaliser.

II. La pêche.

— Elle est, je me hâte de le dire, aussi peu sportive que possible. Nous nous en consolerons en admirant les belles pièces capturées. Elle consiste à refaire en sens inverse notre parcours de tout à l’heure, en nous arrêtant aux seuls endroits que nous avons constatés être occupés. Là, nous descendons notre sauterelle comme précédemment, nous comptons lentement jusqu’à vingt, et nous ferrons sec du poignet. Nous n’avons pas senti la moindre touche ; car les grosses truites sont lentes à l’attaque et immobiles quand elles mangent, mais tous les trois ou quatre trous nous piquerons une belle bête, une de ces truites noir et or piquées de rouge, courtes et trapues, qui pèsent un kilo sans en avoir l’air.

Avec deux ou trois de ces pièces comme fond de notre panier, nous n’avons plus qu’à nous amuser à pêcher, de-ci de-là, ces truites de 180 à 200 grammes, dîtes « truites pour un » dans les restaurants, et qui ne sont pas les plus mauvaises. Mais la présence d’un ou deux « monstres », dans le sac, nous rendra les décrochages toujours à craindre moins douloureux.

Enfin je ne quitterai pas le ruisseau sans dire un mot de la manœuvre, très intéressante et productive que l’on peut y faire de la mouche à hélice. Je n’en ai jamais tiré grand parti dans les eaux agitées, où une vibration de plus ou de moins n’a aucune raison d’attirer l’attention de la truite. Mais, en traversant les prés, les ruisseaux ont de longs parcours, calmes et profonds, et les belles truites ont l’habitude de reposer dans les creux qui, très souvent, se sont formés sous les berges surplombantes. La mouche à hélice, assez longue, ressemblant plus à une chenille qu’à une mouche demande une manœuvre toute spéciale. Plombée d’un plomb rond « sur le nez », juste en avant de sa petite hélice, elle tend, si nous la laissons aller après l’avoir posée à la surface, à piquer vers le fond à un angle d’environ 45°. C’est là qu’interviendra une certaine légèreté de main qui ne s’acquiert qu’en regardant travailler la mouche entre deux eaux. Entre le plomb, qui veut la faire piquer, et le fil, qui tend à la soutenir, la mouche prend une position presque horizontale, à peine inclinée sur l’avant (fig. 3), et en déplaçant lentement, très lentement, le scion de la canne on constate que l’hélice se met en marche, et que la « bête » se met à progresser. De petits relâchers lents, suivis de remontées plus lentes encore, permettent de maintenir le leurre, avec quelque habitude dans une tranche d’eau horizontale haute tout au plus de 10 à 15 centimètres pour un parcours horizontal de 5 à 6 mètres. L’illusion est extraordinaire : cuillers et devons ne nous ont habitué au mouvement que lorsque leur déplacement par rapport à l’eau atteint déjà une certaine vitesse, mais la mouche à hélice se met à tricoter sous elle, comme un chien basset, en avançant infiniment moins vite. Il semble absolument que nous ayons affaire à un insecte d’eau ramant de ses pattes antérieures et j’y ai moi-même été souvent pris.

La manoeuvre consiste simplement à faire « défiler » cette mouche, en position naturelle, presque horizontale, à une main du fond et à 30 à 40 centimètres de la berge ; en montant ou en descendant, cela a peu d’importance vu le manque presque total de courant. Là, en eau calme, le battement de l’hélice prend toute sa valeur vibrante ! et bientôt on voit, sous les racines, paraître des bouts de nageoires ou de queues de belle taille. L’attaque est de toute brutalité. Au passage de la bête vivante, la truite bondit de sa caverne … et y retourne d’un seul élan. D’où la nécessité de ne pas raser de trop près le surplomb de roches moussues ou de vieux branchages qui sert de coffrage à la terre du bord. Les ratés et les ruptures sont à craindre, la difficulté étant de passer d’une manoeuvre soutenue et lente de la canne, guidée dans le sens horizontal, à un ferrage instantané. Mais les résultats sont ahurissants : d’un petit canal d’irrigation que l’on enjambe sans allonger le pas outre mesure, vous sortirez, le long des murs de pierres sèches ou des racines fouillées par l’eau, des truites de taille inattendue et peu commune.

J’ai même, de la sorte, pris de l’ombre chevalier dans des lacs de montagne, par 2 ou 3 mètres de fond en eau transparente. Ce sont là de petits procédés qui n’ont pas la noblesse de la mouche classique, mais je n’ai jamais eu honte, un jour où la truite refuse de monter, de faire les premiers pas et d’aller la chercher où elle est.